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1 février 2008

Franc CFA et néocolonialisme monétaire

Toutes les gesticulations des chefs d’états africains, pour imposer le poulain de leur choix à la tête de

la BCEAO

, sont pour le moins risibles. Elles masquent le fond du problème. Le franc CFA, dont le nom d’origine est "le franc des colonies françaises d’Afrique", est une monnaie crée et gérée par le colon, pour servir uniquement ses intérêts et maintenir sa main mise sur les richesses de ses ex colonies. Ces chefs d’états, plutôt que se quereller sur le poste de gouverneur de

la BCEAO

, qui n’est rien d’autre qu’un poste de pantin entre les mains de

la France

, devraient s’atteler à la création d’une véritable monnaie africaine, crée et gérée par les Africains dans l’intérêt du continent. Lisez donc l’analyse pertinente d’Arnaud Zacharie, membre du comité pour l’annulation de la dette.

1000f_rectoFranc CFA et néocolonialisme monétaire

Au moment des indépendances, les ex-colonies françaises adoptent une monnaie unique, le franc CFA (le franc CFA des Colonies Françaises d'Afrique, créé en 1945, devient celui de

la Communauté Financière

Africaine), attaché au franc français (parité fixe entre franc CFA et franc français). Quoique monnaie africaine, le franc CFA est géré en dernier ressort par

la France

, qui a pour mission d'assurer la parité entre les deux monnaies. Cette réalité implique une véritable mainmise de l'Etat français sur la politique monétaire africaine. Depuis janvier 1999 et l'adoption de l'euro par

la France

, cette réalité s'est étendue à toute la zone euro (la parité entre euro et FCFA a été fixée à 655,96 FCFA pour 1 euro).

La zone CFA se divise en trois sous-régions monétaires dirigées par trois banques centrales respectives : l'UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) est dirigée par

la BCEAO

(Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest) et regroupe le Niger, le Togo, le Sénégal, le Mali, le Bénin, le Burkina Faso et

la Côte

d'Ivoire;

la CEMAC

(Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale) est dirigée par

la BEAC

(Banque des Etats d'Afrique centrale) et regroupe le Cameroun,

la Centrafrique

, le Congo, le Gabon,

la Guinée

équatoriale et le Tchad; enfin,

la BCC

(Banque centrale des Comores) dirige la politique monétaire de la

République fédérale islamique des Comores.

Les statuts de ces banques centrales, bien que réformés en 1973, restent nettement 2fà l'avantage de l'ex métropole. En effet, celle-ci peut légalement bloquer toute décision monétaire au sein de la zone CFA. Ce droit est assuré par la présence de représentants dans les conseils d'administration respectifs :

la BEAC

est dirigée

par treize administrateurs, dont trois Français (article 3);

la BCEAO

est dirigée par seize administrateurs, soit deux par pays membres et deux Français (article 49); enfin,

la BCC

est dirigée par huit administrateurs, dont quatre Français (article 34).

Or,

la BEAC

ne peut délibérer qu'en présence d'au moins un administrateur par Etat membre et un administrateur français (article 38),

la BCEAO

doit prendre les décisions capitales à l'unanimité (article 51) et

la BCC

ne peut adopter de décision qu'avec l'accord d'au moins cinq des représentants (article 38). Cela signifie clairement qu'aucune décision monétaire au sein de la zone CFA ne peut se prendre sans l'aval de

la France.

Les enjeux d'un tel système sont évidents :

la France

a conservé des relations commerciales et financières très développées avec ses anciennes colonies. Aussi, la meilleure façon d'assurer la sécurité de ces relations est d'assurer une stabilité monétaire entre les deux zones. Cette stabilité est assurée par le lien fixe entre le franc français et la zone CFA : la parité et la libre convertibilité sont assurées par le Trésor français. Une telle garantie rassure les investisseurs français, puisque aucun risque de convertibilité ne vient entraver le rapatriement régulier de leurs bénéfices.

Les avantages présentés aux Africains sont quant à eux des plus artificiels : outre l'attrait des investissements directs à l'étranger (IDE), qui comme on l'a vu restent des plus timides, le franc CFA est censé épargner les risques de change avec la zone euro et donc faciliter l'accès au marché unique européen. Or, cet accès reste

limité par les mesures de protectionnisme permises à l'Union européenne par les accords de l'OMC (aussi bien pour les produits manufacturés que pour les produits agricoles). En outre, les relations commerciales sont largement restreintes à l'exportation de matières premières, dont les prix sont à l'avantage des pays riches du Nord (termes de l'échange).

Un autre avantage présenté aux Africains est qu'une monnaie unique facilite la coopération entre les différents pays membres (ce qui empêche une balkanisation monétaire de l'Afrique). Malheureusement, le fait que cette monnaie unique soit gérée par une autorité extérieure empêche qu'elle soit gérée dans ce but d'unité

intérieure. En effet, l'Union européenne, en héritant des accords franco-africains, a juridiquement toute liberté de modifier selon ses intérêts la parité entre franc CFA et euro. C'est elle également qui intervient au nom des pays africains sur le marché international des devises pour défendre sa monnaie (les banques centrales

Africaines n'ont donc aucune existence juridique sur le marché des changes).

A l'analyse, ces avantages sont non seulement artificiels, mais aussi contre-productifs. Pour mesurer à quel point, il est nécessaire de comprendre la logique qui sous-tend la mondialisation économique actuelle. Au sommet de la hiérarchie mondiale, l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord visent une croissance basée sur l'importation de matières premières et l'accumulation de capitaux et de technologies. Parallèlement, chacune des deux régions cherche à asseoir la suprématie mondiale de sa monnaie. C'est pourquoi l'objectif de monnaie forte et stable est prioritaire pour les banques centrales de ces pays.

Le problème est qu'une telle politique monétaire est incompatible avec les intérêts africains. D'abord, la politique de hauts taux d'intérêt appliquée par l'Union européenne (et donc imposée à la zone CFA selon les accords monétaires en application) pour attirer les capitaux internationaux est nuisible à l'économie africaine, car elle implique des crédits trop élevés pour les entrepreneurs locaux. Cet obstacle empêche les petites et moyennes entreprises africaines d'exister, par manque de financement.

Ensuite, les relations commerciales de la zone CFA avec le reste de l'Afrique et du Tiers Monde se trouvent handicapées par la politique de monnaie forte imposée par l'Europe : le franc CFA étant surévalué par rapport aux autres monnaies du Sud, les produits libellés en FCFA deviennent trop chers pour ces pays. L'Afrique de la

zone CFA se retrouve ainsi coupée des marchés du Sud et condamnée à exporter des matières premières bon marché vers le Nord (l'objectif final de l'Europe étant évidemment la cotation des matières premières de la zone CFA en euro et donc l'élimination de tout risque de change pour son approvisionnement).

Enfin, le principe du compte d'opérations, à la base de tout le système, implique pour l'Afrique de la zone CFA une rigueur budgétaire exacerbée et des fuites massives de capitaux vers l'Europe, ce qui représente pour la région une véritable institutionnalisation de l'appauvrissement socio-économique.

Le principe du compte d'opérations est simple et s'appuie sur le fait que

la France

est chargée de garantir la convertibilité des deux monnaies. En contrepartie de cette garantie, les banques centrales africaines (BCEAO, BEAC et BCC) doivent verser 65% de leurs réserves de change (leurs avoirs extérieurs) sur un compte du
Trésor français appelé compte d'opérations. Chacune des trois banques centrales de la zone CFA possède ainsi un compte d'opérations ouvert à son nom par le Trésor français. A l'origine, les banques centrales devaient verser 100% de leurs avoirs extérieurs sur ce compte, mais depuis la réforme de 1973, ce montant a été réduit à 65% (le reste devenant utile pour le remboursement de la dette extérieure).

Le Trésor français, fort de ces réserves, est ensuite chargé de fournir aux banques centrales les fonds dont elles ont besoin. Selon le montant de ces besoins et celui des avoirs extérieurs transférés vers le Trésor français, le compte d'opérations se retrouve soit débiteur (les banques centrales africaines doivent alors payer des intérêts au Trésor français), soit créditeur (

la France

doit alors payer des intérêts aux pays CFA).

De 1962 à 1980, le compte d'opérations est largement excédentaire en faveur de l'Afrique (l'excédent atteint jusqu'à 8,9% des réserves de change de

la France

). Depuis lors, la tendance déficitaire s'est progressivement accentuée, alors que les accords exigent qu'une situation déficitaire soit rapidement corrigée. L'Afrique de la zone CFA entre alors dans une double phase imposée d'austérité et d'évasion de capitaux : alors que les plans d'ajustement imposent une réduction des budgets publics, le déficit des comptes d'opérations dicte la même conduite à des pays financièrement asphyxiés. Parallèlement, alors que les revenus d'exportation sont largement destinés au remboursement de la dette, une part considérable de ce qu'il en reste est versée sur les comptes d'opérations déficitaires.

Entre 1986 et 1991, les cours des matières premières ont beau chuter inlassablement, la zone CFA verse 65% de ses avoirs au Trésor français. Un mécanisme tout particulièrement cynique se met alors en route : "Au moment où les recettes d'exportations garnissent les caisses de l'Etat français, les Africains souffrent des affres du sous-développement et excellent dans la mendicité de l'aide financière internationale généreusement octroyée par

la France

en puisant dans leurs propres avoirs extérieurs déposés en compte d'opérations ouverts à Paris." (Agbohou, 1999, p. 70)

Le rôle de

la France

est ainsi on ne peut plus aisé dans ce système, surtout qu'elle peut dans le même temps utiliser l'excédent d'un pays pour boucher le déficit d'un autre. Parallèlement,

la France

peut s'allier au FMI et pousser à ce que ces pays adoptent des plans d'ajustement assainissant leurs finances publiques. 

La France

appuiera par exemple en 1996 le putsch au Niger d'Ibrahim Maïnassara contre le président Mahamane Ousmane, devenu réticent envers les plans d'ajustement du FMI et de

la Banque

mondiale (Agbohou, 1999, pp. 112-120). La santé et l'éducation sont ainsi sacrifiées au nom d'une parité fixe à conserver (en plus d'une dette à rembourser).

Selon les statuts de l'accord, lorsque les avoirs extérieurs sont jugés insuffisants pour combler le déficit du compte d'opérations,

la France

peut décider unilatéralement la dévaluation du franc CFA. C'est ce qu'elle fait en janvier 1994 avec la dévaluation de 50% du franc CFA. Du coup, 1 franc français qui valait 50 FCFA hier vaut 100 FCFA aujourd'hui. Et les avoirs extérieurs versés par la zone CFA sur le compte d'opérations doublent en valeur relative (le compte d'opérations s'améliore de 11 milliards de francs français en 1994).

En outre, l'aide publique au développement (APD) versée par

la France

en franc français double de valeur en franc CFA (1 million de francs français équivalent désormais à 100 millions de CFA, contre 50 millions avant la dévaluation). Une nouvelle fois, les intérêts de

la France

sont en phase avec les politiques d'ajustement du FMI et de

la Banque

mondiale. En effet, les plans d'ajustement débutent traditionnellement par une double thérapie de choc : la hausse des taux d'intérêt (pour attirer le capital international) et la dévaluation.

Le but de la dévaluation est d'accentuer la compétitivité des exportations : vu que les matières premières sont cotées en dollar, elles deviennent moins chères pour l'extérieur et donc plus alléchantes après une dévaluation (en effet, alors qu'avec 1 franc français on pouvait acheter un ananas de 50 FCFA, depuis la dévaluation on peut acheter deux ananas avec le même franc).

Parallèlement, un pays exportateur gagnera le double en monnaie nationale pour un même produit après une dévaluation de 50% (la valeur du dollar en franc CFA étant deux fois plus élevée qu'avant la dévaluation, l'exportation d'un baril de pétrole à 25 dollars rapportera 17 500 FCFA après la dévaluation, alors qu'il ne rapportait initialement que 8 750 FCFA).

Le problème est que simultanément, le prix des importations augmente d'autant, ce qui peut engendrer un déficit de la balance commerciale et une inflation importée (il faut 100 000 FCFA pour importer un produit de 1 000 FRF, alors qu'il ne fallait que 50 000 FCFA avant la dévaluation). C'est précisément ce qui affecte les pays

de la zone CFA en 1994 : le prix des produits alimentaires et des produits importés augmente de plus de 50% et celui des carburants de 20 à 30%. Heureusement, les cours des matières premières reprennent quelques couleurs en 1995-1996 (hausse de 25% des produits de base non pétroliers entre 1993 et 1996), ce qui stabilise temporairement le déficit commercial.

Mais la brutalité du choc ne laisse pas tout le monde indemne : si l'augmentation des prix dépasse 50%, celle des salaires ne dépasse pas 15%, ce qui aboutit à une chute du pouvoir d'achat relatif des populations. En outre, vu que le franc CFA a perdu la moitié de sa valeur, l'importateur français peut acheter deux ananas

pour 50 FCFA au lieu d'un seul avant la dévaluation, ce qui contraint les pays de la zone CFA à exporter le double de produits pour acquérir une même somme de devises étrangères. Cela aboutit à une dilapidation des ressources naturelles et à des dégâts environnementaux considérables (déforestation, monocultures industrielles détruisant les terres cultivables, etc.).

Enfin, l'investissement réel n'est en rien stimulé par une telle mesure, bien au contraire : l'augmentation du volume des exportations de produits primaires ne répond pas à une croissance de la demande dans les pays riches, tandis que les investisseurs doivent importer des biens d'équipement à des prix croissants, ce qui les décourage. A l'arrivée, l'effet de dopage sur le volume des exportations prophétisé par le FMI ne se vérifie guère sur le terrain et la sous-industrialisation du continent se perpétue.

Le peu d'investissements privés étrangers qui s'opèrent au sein de la zone CFA ne sont d'ailleurs que peu profitables à l'économie locale : l'accord de coopération monétaire entre le franc français et le FCFA implique une liberté totale des transferts de capitaux entre les deux zones. Cette liberté aboutit à un rapatriement

massif des bénéfices des investisseurs étrangers vers leur maison-mère et à un exode des revenus des ménages expatriés vers leur pays d'origine : entre 1970 et 1993, alors que les investissements étrangers s'élevaient à 1,7 milliards de dollars, le rapatriement des bénéfices et des revenus d'expatriés s'est élevé à 6,3 milliards. Les rapatriements ont donc été quatre fois supérieurs aux investissements (Agbohou, 1999, p. 87).

Une telle réalité a évidemment le don de tuer tout espoir de constitution d'une épargne locale, pourtant indispensable au développement de l'Afrique. Le pire est que ce système aboutit à une véritable institutionnalisation durable de la fuite des capitaux africains (d'où déficit de la balance des paiements, endettement, dépendance envers l'extérieur et sous-développement).

En résumé, les quatorze pays africains de la zone CFA sont privés d'autonomie monétaire, condamnés à l'austérité, aux hauts taux d'intérêts et aux dévaluations à répétition, impuissants face à l'exode massif des capitaux et privés d'investissements productifs. Limités à l'exportation de matières premières vers l'Europe, ces pays sont coupés du reste du Sud, dépendants de fluctuations extérieures et condamnés à affecter leurs avoirs extérieurs au remboursement de la dette et au compte d'opérations. Sans capacité budgétaire, comment s'étonner que les pouvoirs publics ne puissent garantir l'éducation, la santé et l'alimentation aux populations locales ?

Arnaud Zacharie

Pour le Comité pour l'Annulation de

la Dette

du Tiers Monde

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