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XADA POLITICUS
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12 février 2008

Le Nobel de la honte

Etrange ironie de l’histoire, qui nous apprend que le sinistre inventeur du tristement célèbre gaz Zyklon B, utilisé par les nazis dans les chambres à gaz, était non seulement juif, mais aussi celui qui permit l’essor de l’agriculture moderne par une autre invention. Lisez le texte ci-dessous signé d’El Desdichado. 

Le Nobel de la honte 

HaberL’Allemand Fritz Haber se voit attribuer en 1918 le prix Nobel de chimie sous les huées du public. Fritz Haber a en effet une bonne centaine de milliers de morts sur la conscience au moment où il reçoit son prix puisqu’il est l’inventeur des gaz utilisés par les troupes allemandes pendant la Première Guerre Mondiale. De là à voir en ce savant une ordure intégrale, il n’y a qu’un pas qu’il serait cependant hasardeux de franchir. Portrait d’un homme à la personnalité trouble et complexe.

Dans l’Histoire de ce pays. Pourtant, Haber est un véritable patriote, et même bien plus : un nationaliste convaincu. Il vient d’une famille très assimilée (son père, bien que Juif, s’appelait Siegfried en référence au mythique héros germanique). Il se sent plus allemand que juif, sans renier ses origines pour autant, simplement il n’est pas plus que cela attaché à son judaïsme. Plus tard, il se convertira même au protestantisme en réaction à l’antisémitisme montant de l’époque. Pourtant toute sa vie Haber aura l’impression d’être considéré par ses pairs comme « un citoyen de seconde zone ». De cette volonté d’être reconnu par ses compatriotes naîtra sans doute son ambition dévorante qui jouera un rôle déterminant dans la suite de sa vie.

Après de brillantes études en chimie, il est nommé professeur puis directeur de recherches en 1906 à la Technische-­Hochschule de Karlsruhe. C’est là qu’il invente un procédé remarquable permettant la synthèse de l’ammoniac en vue d’une production industrielle de cette substance. BASF rachète le procédé, et Haber devient dès lors très riche et influent. Cette découverte lui vaut d’être nommé directeur de l’institut de Berlin, où il fait la connaissance d’un certain… Albert Einstein. Les deux hommes s’apprécient et deviennent des amis très proches. Pourtant tous les opposes : Les opinions nationalistes et belliqueuses de Haber vont à l’encontre des idées pacifiques d’Einstein, qui se voit plutôt comme « un citoyen du monde ». Même leurs positions sur l’avenir du judaïsme divergent (Einstein était un sioniste convaincu). 1914.

C’est le début de la première guerre mondiale. Dès le début des hostilités, Haber se met à la disposition du ministère de la guerre. Bientôt le conflit entre dans la phase de la guerre de tranchée. Haber voit bien que la situation est bloquée, les troupes s’enlisent dans un conflit sans fin. Il se sent alors investi de la mission de changer le cours de la guerre, au profit de son pays bien entendu. Avec une équipe de chimistes il travaille d’arrache-pied pour mettre au point un gaz capable de réduire à néant les troupes adverses. Il sera testé avec succès (si l’on peut dire) sur les troupes franco sénégalaises en 1915 (les témoins qualifieront les victimes de « noyées sur la terre ferme »).

Horrifiée, Clara, la femme de Haber, supplie son mari de cesser ses travaux meurtriers, mais celui-ci ne veut rien entendre. Clara se tire alors une balle dans le cœur. On ne sait pas vraiment comment Haber a réagi à ce suicide, mais étrangement il n’en a pas semblé très affecté puisqu’il a continué à travailler pour l’armée allemande. Il améliore même son gaz pour créer le tristement fameux « gaz moutarde » qui, non content de laminer les troupes ennemies, laisse également d’innombrables blessés à vie, car le gaz moutarde rend aveugle et brûle grièvement la peau.

Il est important de signaler que Haber, en inventant délibérément des gaz meurtriers dans le but explicitement avoué de tuer un maximum d’ennemis (j’entends par là qu’il ne s’agit pas d’une découverte scientifique détournée par l’armée pour usage militaire), s’est mis dans la position d’un criminel de guerre. En effet, l’Allemagne est cosignataire de la convention de La Haye (1899) qui interdit d’employer « des projectiles qui ont pour but unique de répandre des gaz asphyxiants » (personnellement, l’idée qu’il puisse y avoir des règles à une guerre, comme si c’était un jeu de société géant, m’amuse, mais bon passons). Certes les deux camps ont employé les gaz, mais c’est l’Allemagne qui la première, poussée par Haber, a violé cette convention.

Cependant, Haber ne fut qu’à peine inquiété une fois la paix revenue. C’est alors que se produit une chose incroyable : on apprend que le Prix Nobel de Chimie de cette année 1918 est décerné à… Fritz Haber, « pour la synthèse de l'ammoniac à partir de ses éléments ». Jamais Stockholm n’eut à subir un tel tollé de protestations. Personne ne comprit comment un tel individu pouvait être gratifié d’une telle récompense.

Et pourtant... Fritz Haber était ­il à ce point un monstre ? Certes on a rarement vu quelqu’un montrer aussi peu de compassion pour la vie humaine, y compris celle de ses proches. Sa totale absence de déontologie scientifique et son nationalisme extrême illustrent tristement la célèbre maxime de Pasteur : « Si la science n’a pas de patrie, les savants en ont une. » Il n’a jamais vraiment manifesté de remords. Il faut même lui reconnaître un certain courage et l’honnêteté d’assumer ses actes. Il écrit en 1924 : « J’ai assuré, au début de l’année 1915, une responsabilité partielle dans le domaine de la guerre chimique, mais à partir du milieu de l’année 1916, ma responsabilité fut totale. »

Haber retrouve après la guerre son poste à l’Institut de Berlin. Il y continue ses recherches, qui heureusement s’avèrent beaucoup plus inoffensives… et ce jusqu’en 1933. Un certain Adolf Hitler devient alors Chancelier. Haber ne s’inquiète pas vraiment : n’a ­t ­il pas prouvé qu’il était un véritable patriote ? De plus, il ne se considère pas vraiment comme juif : il s’est déjà converti plusieurs fois, et ose croire que cela importe aux yeux du parti nazi. Comme il l’a écrit à son vieil ami Einstein : « Si les Juifs cessent d’être Juifs, les antisémites cesseront d’être antisémites. » Malheureusement, sur ce point, il se trompait. Il apprend que, suivant les lois antijuives promulguées par le nouveau régime, il doit démissionner de son poste. Les scientifiques juifs ne sont plus autorisés.

Haber est scandalisé par ces dispositions. Comment, après tout ce qu’il a fait pour son pays, peut il être traité ainsi ? Et comme il a toujours été un individu extrêmement fier, il se permet, avant de s’exiler, d’écrire une lettre bien sentie au Ministère de l’Education et de la Science : « Depuis plus de quarante ans, j’ai choisi mes collaborateurs en fonction de leur intelligence et de leur caractère, et non de considérations à propos de leur grand-mère. Je ne changerai pas pour le reste de la vie cette méthode que j’ai trouvée excellente. » Ce qui, une fois de plus, dénote un certain courage de la part de cet homme au caractère étrange.

Haber s’exile alors en Angleterre et meurt un an plus tard d’une crise cardiaque. Il ne connaîtra jamais l’usage meurtrier qui sera fait d’une autre de ses inventions. Haber avait effectivement travaillé sur des pesticides dans le but de prévenir le typhus et avait ainsi mis au point le gaz Zyklon B. Bien après sa mort, les nazis testeront ce gaz sur des prisonniers de guerre russes avant de l’adopter définitivement dans les chambres à gaz des camps d’extermination… Cruelle ironie pour Haber, qui se retrouve à nouveau (mais cette fois sans le vouloir) en position de criminel de guerre indirect, pour le compte d’un régime qu’il haïssait, et pour exterminer son propre peuple…

Homme ambigu et controversé, Haber méritai t­ il son prix Nobel ? La question reste posée, mais il faut bien prendre en considération ceci, avant de juger hâtivement. Haber s’inquiétait de l’évolution de la population mondiale et se demandait si l’agriculture suivrait. L’ammoniac est très utilisé dans les engrais industriels et on avait besoin d’en produire en masse. C’est pour cela que Haber avait entrepris ses travaux d’avant guerre. Le procédé qu’il a découvert est encore utilisé aujourd’hui et permet de nourrir deux milliards de personnes. Vous avez bien lu : deux milliards. Est ce que la découverte et son utilité importent plus que le découvreur ? Fallait-­il décerner le Prix à Haber ? Je crois que devant une telle interrogation il vaut mieux s’effacer modestement et dire « je ne sais pas ». Tout ce que je sais, c’est que je n’aurais pas voulu être à la place des Académiciens qui se sont posé cette question en 1918…

El Desdichado

                                                                      

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